lundi 28 avril 2008

La liberté [le pouvoir sur nos vies !]

Lettre de Bruno et Ivan depuis les prisons de Fresnes et Villepinte (également postée sur Les 17 millions... et les autres)

Salut à tous les copains, à tous ceux qui ne sont pas résignés à la situation que nous vivons : occupation policière des rues, des villes, rafles, expulsions, arrestations, difficultés quotidiennes, dépossession de nos vies ; cette situation qui nous pousse à céder une part grandissante de nos vies aux chefs en tout genre, à ceux qui président à nos destinées, au pouvoir. Si nous prenons le parti de la révolte, c’est pour toutes ces raisons, pour retrouver le pouvoir sur nos vies, pour la liberté de vivre.

Nous avons été arrêtés le 19 janvier. Nous sommes deux en prison, le troisième est sous contrôle judiciaire (il passait par là et avait le tort de nous connaître). Nous avions en notre possession un fumigène que nous avions fait en mélangeant du chlorate de soude, du sucre et de la farine. Enflammé, ce mélange produit un fort dégagement de fumée. Nous projetions de l’utiliser à la fin de la manifestation qui allait ce jour-là devant le centre de rétention de Vincennes. Notre idée : se rendre visible auprès des sans-papiers enfermés, sachant que la police tenterait sûrement de nous empêcher d’approcher du centre. Nous avions aussi des pétards pour faire du bruit et des crèves-pneus (clous tordus) qui peuvent être disposés sur la route pour empêcher les voitures de passer.

Pour la police et la justice, le prétexte est tout trouvé, nous avions les éléments pour une bombe à clous. Voilà ce dont nous sommes accusés :
. Transport et détention, en bande organisée, de substance ou produit incendiaire ou explosif d’éléments composant un engin incendiaire ou explosif pour préparer une destruction, dégradation ou atteinte aux personnes.
. Association de malfaiteurs en vue de commettre un crime de destruction volontaire par l’effet d’un incendie, d’une substance explosive ou de tout autre moyen de nature à créer un danger pour les personnes, commis en bande organisée.
. Refus de se prêter aux prises d’empreintes digitales ou de photographies lors d’une vérification d’identité.
. Refus de se soumettre au prélèvement biologique destiné à l’identification de son empreinte génétique par personne soupçonnée de crime ou délit.

Ça fait froid dans le dos. Voilà pour les faits, nous allons tenter d’y apporter une réflexion.

Ce n’est évidemment pas au regard de ce que nous détenions ou de ce que nous projetions de faire que nous avons été traités de la sorte. L’État criminalise la révolte et tente d’étouffer toute dissidence «non-autorisée». Ce sont nos idées et notre façon de lutter qui sont visées, en dehors des partis, des syndicats ou autres organisations. Face à cette colère que l’État ne parvient ni à gérer ni à récupérer, il isole et désigne l’ennemi intérieur. Les fichiers de police et des renseignements généraux construisent des «profils-types». La figure utilisée dans notre cas est celle de «l’anarcho-autonome». Le pouvoir assimile cette figure à des terroristes, construisant une menace pour créer un consensus auprès de sa population, renforcer son contrôle et justifier la répression.

C’est pourquoi nous sommes aujourd’hui en prison. C’est la solution choisie par l’État pour la gestion des illégalismes, des «populations à risque». Aujourd’hui il faut enfermer plus pour plus longtemps. Les contrôles, toujours plus efficaces, et les sanctions qui font peur assurent à ceux qui détiennent ou profitent du pouvoir une société où chaque individu reste à sa place, sait qu’il ne peut pas franchir les lignes qu’on a tracé pour lui, qui l’entourent et le compriment, sans en payer le prix. Si nous luttons aux côtés de sans-papiers, c’est que nous savons que c’est la même police qui contrôle, le même patron qui exploite, les mêmes murs qui enferment. En allant à la manifestation, nous voulions crier en écho «Liberté» avec les prisonniers, montrer qu’on était nombreux à entendre la révolte qu’ils ont menée pendant plusieurs mois. Allumer un fumigène, tenter de s’approcher le plus possible des grilles de la prison, crier «fermeture des centres de rétention», avec la détermination de vouloir vivre libre. Cette lutte, dans laquelle on peut se reconnaître, est un terrain de complicités à construire, un lieu possible de l’expression de notre propre révolte.

Nous ne nous considérons pas comme des «victimes de la répression». Il n’y a pas de juste répression, de juste enfermement. Il y a la répression et sa fonction de gestion, son rôle de maintien de l’ordre des choses: le pouvoir des possédants face aux dépossédés.

Quand tout le monde marche en ligne, il est plus facile de frapper ceux qui sortent du rang.

Nous espérons que nous sommes nombreux et nombreuses à vouloir posséder pleinement nos vies, à avoir cette rage au cœur pour construire et tisser les solidarités qui feront les révoltes.


Bruno et Ivan, avril 2008


Cette lettre a été relayée par Guy M., sur l'excellent blog L'Escalier Qui Bibliothèque, sous le titre "Des nouvelles de l'intolérable". Elle a été mise en ligne sur le site Rap Conscient, et reprise par L'En Dehors. Je l'ai moi-même découverte sur l'excellent blog de Flo-Py.

A lire aussi :
- "Solidarité avec Ivan et Bruno et les autres", sur le site A-Infos
- "Rassemblement de soutien à Ivan et Bruno", sur le site Rebellyon

5 commentaires:

  1. Je vais voir si je suis libre ce jour-là, mais je ne peux rien promettre : à force de travailler plus pour gagner plus, on finit par ne plus avoir une minute à soi...

    RépondreSupprimer
  2. Didier Goux : oui, certes, pour le 11 avril, c'est un peu tard. Néanmoins, rappeler nos libertés ca ne peut pas faire de mal ! :-)

    RépondreSupprimer
  3. Un peu facile à rédiger comme billet.

    RépondreSupprimer
  4. Nicolas : oui, facile mais ca me semblait important de souligner nos pertes progressives de liberté !
    :-)

    RépondreSupprimer